Exemple de texte n°1
Je parlerai d'un couloir, d'un interminable couloir jaune muni d'un linteau. C'est une longue planche de bois à mi-hauteur de mur, c'est une longue planche qu'agrippent même les bien-portants venant visiter leurs malades. A la fin, à la longue. Je parlerai d'un long couloir, le reste, maman, ne regarde que nous, je suis ton bébé, ton enfant pour la vie. Le reste, ce sont nos crayons de couleurs, nos tiroirs secrets, nos éclats, notre boule de cristal.
Ce couloir mène aux chambres, toutes portes ouvertes. C'est une ville, un îlot de plaintes, de murmures. Parfois, d'une télé braillarde parvient l'écho du dehors, ou d'un jeu ridicule. On marche lentement, n'espérant rencontrer personne. Personne à saluer, personne pour vous distraire de la seule mission qui est désormais vôtre et qui occupe tout l'espace. C'est une espèce de gangrène qui prend jusqu'aux tripes et s'arrête au niveau de l'estomac.
A mesure que l'on avance dans ce couloir, la peur vous gagne : est-ce le dernière fois ? Est-ce déjà trop tard ? Alors, on se maquille, on se fabrique soudain un masque de garçon souriant, faussement détendu. Pas facile, surtout que ça se met à défiler à cent à l'heure. On revoit tout, un peu comme un casse-gueule. On est en culotte courte, on fait des bêtises, que sais-je ?, l'air embaume le foin coupé. Même le vieux cocker se remet à battre de la queue, on l'entend aboyer. J'entends ma mère l'engueuler.
C'est con, les cockers. C'est con, les hommes, les fils quand ça n'ose même pas rentrer dans la chambre de leur maman. Les couloirs, il n'en faudrait pas, jamais ! C'est piégeux, inhumain à souhait. Pas plus faux-jeton qu'un couloir, un long couloir éclairé de jaune. Un jaune étrange, comme il n'en existe nulle part ailleurs, un jaune boyau, un jaune bâtard, un jaune cruel… Elle qui n'aimait que le vert et le bleu du ciel. Et moi, qui n'aime rien tant que me perdre dans ses yeux, que d'y voir tous les horizons, tous les Je t'aime. Tout.
Exemple de texte n°2
NOUS DEUX
Souviens-t'en de la boule de nerfs que tu étais ! Tous deux remplis de la même vie et du sang, nous avons vu les fronts de mers et les buissons ardents. Combien de jours heureux, d'exquis mélos-sorbets ? J'ai grandi dans l'ombre de ton sureau. J'ai mendié ces baisers où tu me susurrais ces vérités de maman : j'étais le plus beau, comme quoi tu étais si fière de tes mouflets. Et la vie s'arrondissait sous le rabot de tes acquis. Longtemps j'ai cru que les mamans te consultaient, un peu comme on trouve repère auprès de la Pythie. Longtemps, j'ai vu le puits sans fond de ton amour parfait. Plus tard, sous le ciel naissant des jours accomplis, on se téléphonait et ta voix de nouveau m'apaisait.
Tu étais définitivement celle qui pressent, qui dit ; quand bien même savions-nous nos vies bifurquer. L'aînée venue le jour de la fête des grands-mères — cela ne s'invente pas ! —, tu as crié : Ô doux ciel ! ; Et le combiné s'est empli, gorge serrée, du doux miel qui faisait de toi la plus belle, la jeune des grands-mères. Maman, ce n'est plus une vie, ni cette espèce de mosaïque, c'est une caverne d'ermite où, depuis l'espace clos, je viens m'abriter des pires tempêtes prosaïques. C'est l'île aux trésors pour adultes orphelins-convalos. C'est là aussi, du haut de mon ermitage nid d'aigle, que me parviennent tous les sons, toutes nos règles. L'horizon balaie alors les palliatifs des ultimes heures.
M'apparaît ce regard inconnu, quasi virginal, de ton bunker. La boule de nerfs s'est transmuée en indicible sagesse. Même tes gestes se trouvent soudain adoubés du halo qu'on ne prête qu'aux Madones, aux tourtereaux. La chambre Ronsard porte, dès lors, loin ta tendresse. Aujourd'hui, j'ai de la poussière dans les yeux, j'envie le sort des plus malheureux, tant j'ai mal. Ta cendre me colle à la peau ; cette peine abyssale, maman, comme autant d'odieux adieux.
Nous deux.